GASQUET-CYRUS Médéric

 Titre : De l’Université à la Cité : l’intervention du linguiste, entre expertise et vulgarisation

Mots-clés : sociolinguistique – vulgarisation – implication

Le savoir produit, partagé et transmis à l’Université et dans les laboratoires devrait être diffusé, en retour, auprès de la société civile, d’autant plus que celle-ci participe au financement de la recherche publique. On sait cependant qu’il y a parfois un gouffre entre, d’une part, les savoirs académiques issus de spécialistes et de disciplines souvent atomisées avec leurs codes et leurs propres moyens de diffusion (séminaires, colloques, revues, livres…), et d’autre part les informations destinées au grand public qui passent le plus souvent par une médiation journalistique. Dans les médias, les fruits de la recherche sont souvent présentés comme des « découvertes » si possibles spectaculaires ; de plus, les précautions caractérisant les écrits académiques sont souvent outrepassées par des affirmations, des simplifications ou des généralisations certes plus « lisibles » pour le public, mais frustrantes voire dérangeantes pour le chercheur. Cependant, une autre forme de circulation du savoir existe, lorsque les chercheurs eux-mêmes s’adressent non pas à des collègues spécialistes mais, plus ou moins directement, à des néophytes ou au « grand public » : c’est cet aspect de l’intervention éducative qui sera examiné ici, plus particulièrement la diffusion des savoirs des linguistes vers société, à travers deux modalités : l’expertise et la vulgarisation. La question est la suivante : quelle(s) forme(s) prend l’intervention éducative des linguistes lorsqu’ils s’adressent à un public de non-spécialistes, et quel impact cette intervention a-t-elle sur la société en sachant que, de manière générale, le monde universitaire ne valorise guère l’intervention sociale ?

L’étude – qui comprendra une dimension historique – analysera les postures de linguistes connus pour leurs travaux universitaires comme pour leur visibilité auprès du grand public : des « référents » sommés de s’exprimer dans les médias pour toute question relative au langage, et qui en France ont pour noms : Claude Hagège, Alain Bentolila, Louis-Jean Calvet, Bernard Cerquiglini, Alain Rey, Henriette Walter…

La méthode consistera à identifier les différentes modalités d’intervention de ces chercheurs, en distinguant (1) les supports (ouvrages ou conférences dits « de vulgarisation », rapports, interviews, utilisation régulière d’un média pour diffuser du savoir – Internet, radio, télévision, journaux…) et (2) le type de posture explicite ou implicite : vulgarisation, expertise pour une institution ou une société, actions dans le domaine du patrimoine, contribution occasionnelle à un débat public, militantisme… Les témoignages publiés par les linguistes concernés seront également pris en compte (par exemple Rey 2009 ; Matthey 2009) Je ferai part de ma propre expérience d’interventions dans différents domaines : patrimoine (en domaine occitan), expertises (expositions, musées), interventions en milieu scolaire, ouvrages grand public, lexicographie, et présence sur Radio France depuis 1999 à travers une chronique quotidienne.

Il s’agira donc d’analyser l’implication du chercheur dans la société – appelée de ses vœux par Auroux (2004) qui invite les linguistes à « intervenir sur leur objet » – dans le cadre d’une sociolinguistique impliquée (Léglise et al. 2006) et critique (Heller 2002 ; Boutet & Heller 2007). Au final, ces recherches permettront peut-être de montrer en quoi ces formes d’interventions vers le public contribuent à retrouver la fonction critique de l’Université sans laquelle, nous disait Meschonnic, « il n’y a pas d’université, parce qu’alors il n’y aurait pas de recherche, il ne s’agit pas seulement de présenter des savoirs, mais de transformer des savoirs – pas seulement d’enseigner des savoirs, mais aussi et surtout d’enseigner à penser. Or penser n’est pas penser si penser n’est pas intervenir dans la pensée. Donc dans l’enseignement. » (Dans le bois de la langue, 2008, p. 200). Donc dans l’intervention.

Références bibliographiques

  • Auroux, S. (1998). La raison, le langage et les normes, Paris : Presses Universitaires de France.
  • Boutet, J. & Heller, M. (2007). Enjeux sociaux de la sociolinguistique : pour une sociolinguistique critique. Langage et société 121-122, 305–318.
  • Chevalier, J.-C. & Encrevé, P. (2006). Combats pour la linguistique, de Martinet à Kristeva, Lyon : ENS Editions.
  • Gasquet-Cyrus, M. (2010). Enseigner la sociolinguistique. In C. Vargas, L.-J. Calvet, M. Gasquet-Cyrus, D. Véronique, R. Vion (dirs), Langues et sociétés. Approches sociolinguistiques et didactiques, Paris : L’Harmattan, coll. Espaces discursifs, 192-209.
  • Gasquet-Cyrus, M. (2012). Conclusion provisoire et subjective… Prendre ou ne pas prendre parti ? Ou comment faire de la recherche sociolinguistique en Provence. Lengas. Revue de sociolinguistique, 72, Montpellier : Presses Universitaires de la Méditerranée, 175-191.
  • Heller M. (2002). Eléments d’une sociolinguistique critique, Paris : Didier.
  • Hudelot, C. & Jacquet-Pfau, C. (textes réunis par) (2009). Sciences du langage et demandes sociales, Limoges : Lambert-Lucas.
  • Léglise, I., Canut, E., Desmet, I., Garric, N. (dirs) (2006). Applications et implications en sciences du langage, Paris : L’Harmattan.
  • Matthey, M. (2009). Au plaisir de dire, Vevey : Editions de l’Aire.
  • Meschonnic H. (2008). Dans le bois de la langue, Paris : Laurence Teper.
  • Rey, A. (2009), L’esprit des mots, Mont-Saint-Aignan : Presses des Universités de Rouen et du Havre.

Biographie

Médéric Gasquet-Cyrus est Maître de Conférences en sociolinguistique à l’Université d’Aix-Marseille et chercheur au Laboratoire Parole et Langage. Ses travaux portent sur les variations du français à Marseille, les accents, la sociolinguistique urbaine, l’occitan, la lexicographie et l’épistémologie de la sociolinguistique. Il est par ailleurs auteur d’ouvrages grand public (Le marseillais de poche, Assimil ; Le marseillais pour les Nuls, First…) et tient depuis 1999 une chronique radio sur France Bleu Provence.

 

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