CHEBIL Rached

Titre : Rapports sociaux en situation de  classe

Mots-clés : Intervention éducative – rapport d’objectivation médiatisé –  construction des sujets – tension et dynamiques identitaires « offres de signification » – « rapports de place » – geste professionnel – mode de régulation d’attitude pédagogique

Considérer les rapports sociaux comme extérieurs aux activités des sujets ne permet d’analyser ni les activités humaines (notamment l’activité d’enseignement), ni aussi  la dynamique des rapports entre constructions des sujets et leurs transformations dans le cours de ces activités. C’est pourquoi, dans notre intervention, nous envisageons d’appréhender l’acte d’enseignement dans une approche systémique tenant compte des sujets dans une activité socio spatiotemporellement  marquée. En tant que rapport social d’objectivation (dans le sens d’apprentissage), la pratique enseignante est essentiellement une intervention éducative. Il s’agit au fait d’une transformation qui  s’opère au niveau des rapports inter/intra sujets à travers des processus, des tensions, des interactions et des positions occupées par les entités dans la dynamique de transformation.

L’intervention éducative (Y. Lenoir, 1993), renvoie à l’action de l’enseignant orientée dans un rapport interactif vers un ou des sujets apprenants soulignant ainsi la tension dialectique qui s’établit entre les composantes des  rapports établis en classe dans un espace institutionnel.. Elle impose  la  nécessité  de  confronter  un  double  rapport,  celui  à  la  pratique  et  celui  aux  savoirs homologués mettant  en exergue, d’un point de vue épistémologique, le passage du paradigme de la simplification à celui de la complexité (Morin, 1997). L’intervention éducative est aussi constituée d’une structure de rapports en tension (au sens de J.M. Barbier,) entre les différentes dimensions qui la  constituent, dont les dimensions curriculaires, les dimensions didactiques (rapport  au savoir/aux  savoirs/de  savoirs),  les dimensions  psychopédagogiques  (rapport  aux  élèves/à l’élève), les dimensions organisationnelles (rapport à la gestion de  l’enseignement en tant que rapport à l’espace classe, au temps et aux moyens organisationnels),  le  tout ancré dans un contexte (rapport au social et à l’institution) spatiotemporellement déterminé.

D’un point de vue historicosocial et dialectique, centrée sur  la  dynamique  des  individus  dans  leurs  rapports  sociaux  et  ayant  pour  objet  la  réalisation  de l’être humain  en société, la médiation pédagogique s’opère selon des «offres de signification». Cette construction s’opère dans « le champ des relations entre sujets » selon des «offres mutuelles d’images identitaires qui apparaissent spécifiquement à l’occasion d’actions de communication qui leur permettent de se constituer spécifiquement comme sujets au sens fort du terme, par affichage d’un lien entre eux-mêmes et leurs actions).

En nous référant aux travaux de Barbier sur les rapports entre sujets et activités, nous postulons que la médiation pédagogique se situe dans le champ des rapports de place dont le champ sémantique correspond à celui des activités de transformation du monde précédemment cité (place de l’élève/ place de l’enseignant). Ces rapports déterminés, nécessaires et indépendants de la volonté des sujets «sont en fait directement issus de l’organisation-en-acte des activités. Ils sont inférables à partir de l’agencement, de l’ordre constatable entre les activités respectives des différents sujets qui y sont impliqués» (Ibid., p. 186).  Une telle intersubjectivité peut être décrite comme expérience vécue par les sujets à travers les rapports qui s’établissent dans  un espace qui est à la fois temporel, transitionnel et transactionnel (Y. Lenoir 2007)

Cadre épistémologique : pour une étude impliquant le sujet humain dans l’activité

Travailler sur l’activité située (traces d’autonomie dans les pratiques enseignantes dans notre recherche) implique d’étudier l’action dans sa singularité (J.M. Barbier & Galatanu, 2000). Dans cette perspective, deux approches peuvent être adoptées :

  • une première privilégiant l’adoption d’un point de vue extérieur, dans ce cas, c’est le chercheur qui agit par inférence à partir des actes produits par le sujet ;
  • une seconde privilégiant au contraire le point de vue du sujet humain impliqué dans l’activité.

Et si nous privilégions l’« entrée sujet impliqué dans l’activité », c’est parce que nous espérons comprendre ce qui fait sens au cours de l’action pour le sujet (dans sa pratique enseignante faisant appel à l’initiative de l’apprenant). Notre choix se justifie aussi par la compatibilité de cette entrée avec une « approche holiste » tenant compte des rapports entre les différentes composantes affectives, représentationnelles et « opératives de la personnalité ».

Objet de recherche

         La problématique et les questions de ce travail émanent de notre constat, comme professionnel de l’inspection, d’une «injonction paradoxale » à double niveau que subit l’enseignant novice au sortir de la formation. D’un côté, une injonction officielle explicite d’une sollicitation à l’autonomie de l’élève l’incitant à s’engager dans un processus dynamique de transformation identitaire, de l’autre,  une injonction implicite indiquée par un contexte institutionnel et social établi, qui lui dit qui il doit être, renforçant ainsi une identité professionnelle héritée/acquise à travers un parcours de formation estimé aliénant, (rapport d’expertise, Altet et Develay). L’objet de cette recherche est donc de comprendre les différentes attitudes que manifestent des enseignants novices face à la gestion de cette injonction officielle à l’autonomie. La notion d’autonomie du côté de l’enseignant telle que nous avons questionnée  à travers notre recherche se rapproche de la responsabilité, de l’altérité, de la prise en charge de l’élève, et d’une transgression du contexte. De ce point de vue,  nous entendons par enseignant  autonome celui qui, en dépit d’une injonction paradoxale à double niveau (niveau institutionnel et social/niveau interne entre soi visé et soi hérité), s’autorise à changer les rapports sociaux habituels de l’institution en classe en faisant appel à l’initiative de l’apprenant.

Pour mener cette recherche, nous avons adopté une méthodologie qui s’est inspirée des méthodes d’une ergonomie cognitive. Elle a consisté à assister aux séances de classe chez des enseignants novices et à les filmer, puis à réaliser des entretiens d’autoconfrontation sur la base du film, à produire une modélisation de l’action à partir des entretiens et des observations directes et à construire des résultats relatifs aux attitudes pédagogiques et à leurs régulations sur la base de ces données.

Les résultats font apparaître une typologie d’attitudes avec des modes de régulation contrastés :

1. les « indifférents » au texte reconduisent les pratiques enseignantes habituelles se conformant ainsi à l’injonction du contexte selon les modes de régulation M41 (Introjecté / Rapport indifférent à l’injonction du texte) et M51 (Externe / Rapport indifférent à l’injonction du texte), 

2. les considérés « autonomes » manifestent des pratiques pédagogiques  qui vont dans le sens de l’injonction du texte selon des modes de régulation M1 (Intrinsèque / Engagement autonome), M2 (Intégré/ Engagement autonome), M3 (Identifié/ Engagement « Devoir ou valorisé ») et atypique (Stratégie de projet /Engagement autonome), 

3. les « ambivalents » (la moitié des participants), leurs attitudes fluctuantes s’opèrent selon M42 (Introjecté / Rapport ambivalent avec primauté du soi), M43 (Introjecté / Rapport ambivalent avec primauté du soi/état anxieux) et M52 (Externe/ Rapport ambivalent).

Ainsi, nos résultats révèlent des liens entre les attitudes pédagogiques des enseignants novices et les régulations des tensions qu’ils vivent. Ils semblent ouvrir des perspectives pour comprendre les résistances à toute innovation ou réforme qui ne prendrait pas en compte ces éléments, notamment dans le domaine de la formation professionnelle initiale.

Biographie

Docteur Inspecteur Général, expert consultant en Sciences de l’Education, Ex. Directeur de l’Enseignement Primaire, Ministère de l’Education Tunisie ; Chercheur-associé dans le laboratoire, Centre de Recherche sur la Formation du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *