La fable de la cartouche d'encre (et les publications de chercheurs)

Voici une anecdote intéressante. Cet internaute a souscrit un abonnement mensuel d'encre pour imprimante. Le jour où il résilie le contrat, ne sachant plus vraiment à quoi correspondait cette dépense au nom peu évocateur, il découvre qu'il ne peut plus rien imprimer, malgré l'encre disponible dans les cartouches. Pour continuer d'utiliser son imprimante (et imprimer ce qu'il avait prévu d'imprimer), ce monsieur devra rendre les cartouches "interdites" à son prestataire et en acheter de nouvelles auprès d'un autre vendeur. Son étonnement, partagé sur Twitter, est alors relayé sur le web.

Et vous, cela vous étonne ?

Bibliothécaires et chercheurs, eux, risquent de ne pas être étonnés. En effet, l'encre est une belle métaphore des publications scientifiques des chercheurs.

Regardons de plus près : Ce monsieur a souscrit un abonnement qui offre un service, en l'occurence un accès garanti à l'encre de cartouches livrées et pilotées à distance selon sa consommation réelle. Tant que le contrat demeure, l'abonné est ainsi sûr de ne jamais manquer d'encre et d'avoir toujours le bon stock d'encre nécessaire en temps utile. Lorsque l'abonnement est résilié, le service d'accès à l'encre est coupé. C'est très clair dans la foire au question du vendeur (source BFMtv ).

A présent, imaginons que l'encre est en fait l'encre de nos chercheurs, ou, formulée autrement, la production scientifique des chercheurs. Je souscris depuis 15 ans un abonnement numérique à 1200 revues chez TelEditeur : chaque année, j'accède aux nouvelles publications des revues, qui viennent s'ajouter aux précédentes, comme jadis sur les rayons de mes étagères. Le jour où j'arrête, parce que mon budget a baissé par exemple, je perds tout, y compris les publications des numéros des 15 années souscrites précédemment.

Cela rend les collections numériques particulièrement fragiles au regard de la pérennité que la communauté université est pourtant en droit d'attendre de ses bibliothèques en matière de constitution pluriannuelle d'un fonds documentaire universitaire. On comprend aussi que les baisses budgétaires créent de grandes disparités d'accès entre chercheurs, selon leur établissement de rattachement.

Alerté depuis de nombreuses années sur les défauts de ce système éditorial, l'Etat a proposé en réaction d'acheter massivement les anciens numéros des revues, pour des accès pérennes garantis. C'est le dispositif ISTEX dont nous parlons régulièrement ici même et qui vient ainsi compléter les abonnements annuels locaux des établissements. L'Université de La Réunion bénéficie ainsi de l'ensemble des numéros de la revue Nature depuis sa création jusqu'en 2012.

Licencesnationales.fr / Istex / IDEX

Mais là encore, les contrats donnent lieu à quelques particularités qui font que l'accès "pérenne" implique parfois qu'il faille changer de site web au bout de quelques années. Ainsi, les anciens numéros des revues Wiley, achetés nationalement, sont accessibles sur Wiley Online, aux côtés des numéros actuels, mais seulement jusqu'au 31/01/2020. A partir du 1er février, ces accès seront coupés et le chercheur souhaitant consulter ces archives (ie. les numéros antérieurs à 1997) devront aller sur la plateforme nationale ISTEX (istex.fr), qui a vocation à héberger l'intégralité des corpus d'archives de revues et livres numériques achetés nationalement via le dispositif ISTEX.

Un autre levier pour améliorer et/ou contourner le système actuel de publication est le mouvement de l'Open Access, dont nous parlons également beaucoup ici sur ce blog.

Notes : BFMtv, Clubic, Yahoo!, etc. | Images : Unsplash, domaine public, ISTEX. |
Billet rédigé par Gwenaëlle Marchais, responsable de la BU Numérique.

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