En savoir plus sur... Le mangeur et l'animal

BUS_mangeur-animal_201511_DSCN6551 Paru en 1997 dans la collection "Mutations/Mangeurs" des éditions Autrement, "Le mangeur et l'animal" interroge les liens nouveaux entre production et alimentation. Cet ouvrage collectif transdisciplinaire réunit professionnels techniciens et chercheurs en sciences sociales (agronomes, vétérinaire, historiens, philosophe, sociologues...) pour faire le point sur l'animal mangé, dans des chapitres courts et éclairants. Les  grilles de lecture sont variées : pratiques d'élevage et traditions agricoles, mutations des modes alimentaires, bien-être animal, contradictions du consommateur.


Les plus :
ouvrage court, accessible, qui remet en perspective une pratique agricole encore récente, loin des clichés de rupture, entre un avant idéalisé et un après intensif et médiocre (malbouffe), loin des oppositions éleveurs / animaux / consommateurs.
Remarque : l'ouvrage date un peu et se concentre sur les bovins. A compléter, si le sujet intéresse, par des ouvrages plus récents (et souvent plus spécialisés autour d'un animal, d'une technique, ou d'une approche particulière : cf. références plus bas)

Pour vous donner envie de découvrir le sujet et d'explorer les rayons des bibliothèques (y compris virtuels, cf. plus bas), nous partageons ici quelques notes de lecture.

Des repères historiques. Le bœuf (bœuf, vache, veau) a longtemps été considéré comme un "mal nécessaire".  C'est un adjuvant certes utile aux travaux mais il consomme de l'espace et des céréales. On lui réserve alors les mauvais pâturages et les faibles rations (XVI-XVIIIe, p.13). Quelques tentatives agronomiques d'amélioration des espèces, par la nourriture, par le croisement génétique, commencent à attirer l'attention sur la valeur de l'élevage (fumier, engrais, lait et autres débouchés). Les transports, la spécialisation des races bovines suivant le terroir et la transition démographique participent d'une "révolution pastorale" où l'élevage peut devenir une fin en soi (XIXe). La distinction des élevages (lait/viande, veau/adulte) intervient ensuite et connait d'intenses développements jusqu'à la crise du lait et l'introduction des quotas en 1984. Les pratiques intensives qui font actuellement l'objet d'un questionnement sociétal apparaissent ainsi davantage dans la continuité d'une histoire récente que dans une rupture avec un passé pastoral mythifié.

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Espaces et traditions. En matière d'élevage, on oppose souvent une France du Nord, plus avancée, à une France du Sud (p.98). Par delà les questions de climats, de sols ou de densité de population, l'ouvrage permet de découvrir aussi l'influence majeure des traditions héritées des "deux grandes poussées de l'agriculture néolithique". Schématiquement : une France du nord davantage liée à la "vague danubienne" de la culture de céréales, sur des sols plus limoneux, associée à la fermentation/distillation (boissons alcoolisées) et à la viande ; en contraste, la "vague méditerranéenne", profitant des techniques horticoles du Moyen et du Proche Orient, favorise une France du sud portée sur le mix agricole de pratiques nécessitant des soins particuliers comme les cultures arbustives (olivier, raisin) ou maraîchères (irrigation) associées aux céréales et aux petits animaux (moutons, chèvres).

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Démographie et peuplement. L'histoire d'une hausse progressive de l'alimentation carnée couplée au développement économique apparait également nuancée lorsque le chercheur s'attarde sur les temps longs. On apprend ainsi que la viande était déjà au cœur des pratiques alimentaires de l'Europe du Moyen-Age des années 1350-1550 après les grandes vagues de pestes et guerres (moins d'hommes, plus de bêtes) avant de connaître une importante régression lorsque les populations retrouvent leur dynamisme (la noblesse s'arrogera alors les privilèges de la chasse). (p.97) Au XIXe, la montée de la viande dans les assiettes semble finalement surtout venir de la transition démographique campagne / ville : les ruraux rejoignent les villes, où, grâce aux transports, au maillage du réseau de circulation des bêtes, au goût des citadins aussi, l'approvisionnement en viande est continu. Plus d'hommes dans les villes, plus d'accès à la viande, plus de viande consommée (et une alimentation plus variée, plus riche). Posée comme un "fait urbain" (p.91), la consommation de viande se développe ensuite dans les campagnes par un alignement des pratiques.

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Viande et symboles. Du côté des pratiques de consommation, les chercheurs confrontent les symboliques de la viande aux évolutions alimentaires. On retrouve ainsi les valeurs de pureté et d'enfance associées au blanc de la chair du veau, tandis que le bœuf évoque le sang, le désir ou les impuretés et les interdits religieux (p.124). "La viande, c'est la force!" dit-on -- c'est aussi un plaisir : non plus seulement réservée aux jours de fête, la gastronomie s'invite dans le quotidien. En plein essor, les médias n'hésitent pas à parler de "désir" et de "libido" (p.110). Et la cuisine s'impose dans les médias : quand Le Monde promeut chaque semaine la "nouvelle cuisine" contre "l'establishment vieillissant et bedonnant de la critique gastronomique", Le Figaro défend, lui, vigoureusement la tradition culinaire dans Le Figaro (p.110). Clairement, certaines sociétés se montrent plus sensibles aux plaisirs de la table, comme la France, que d'autres, comme les anglo-saxons ou les américains chez qui les critiques de la mort animale semblent alors davantage faire écho.

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Industrialisation et souci de l'animal. La mise à mort de l'animal, justement, pose problème : "qui va assumer le geste qui tue ?" interroge le chercheur. En séparant l'acte en divers processus bien identifiés, insensibilisation et saignement, l'abattage industriel dilue les responsabilités et la culpabilité. (p.126). "La mort des bêtes devient une abstraction insaisissable" (Noélie Vialles, citée p.126), toutefois nuancée par le phénomène de ressemblance et de proximité symbolique de certains animaux avec l'homme. Il suffit de voir des images d'abattage (ou entendre les bruits) pour que le malaise renaisse. Voilà qui écorne la mythologie du terroir et des campagnes nourricières, le veau sous la mère...

Autres brèches dans l'image d'Epinal, les nouvelles crises alimentaires : le veau aux hormones (années 70), la crise de la vache folle (années 90) ou plus récemment les scandales de la viande de cheval dans les lasagnes. Le mangeur réclame des gages : traçage, meilleur étiquetage, labels. Et s'intéresse plus largement au bien-être animal. Si la notion est présente depuis les textes sacrés ou l'Antiquité jusqu'à nos jours, cela témoigne du moins du rôle nouveau des consommateurs dans la chaîne de production carnée. C'est ainsi que la filière porcine s'est adaptée pour produire un porc moins gras ou améliorer la qualité du lait de vache (p.43). Les passerelles existent bien entre bêtes, éleveur et consommateur.

Aller plus loin et références bibliographiques :

Tous les ouvrages sont soit empruntables* soit consultables en ligne. Vous pouvez aussi demander une numérisation pour les thèses et mémoires non disponibles en numérique.
(* emprunt le durée d'un week-end pour les thèses et mémoires).

Images : Couverture du livre Le mangeur de l'animal (photo : Liberto Macarro) | Logo des éditions Autrement | "Milk" de Mike Mozart (licence CC BY) | "Steak", de With Wind (licence CC BY-NC) | "Milk Drop" de Chris Pelliccione (licence CC BY-ND) | "Veau", de LJ42 (licence CC BY-NC-ND)

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